L’Association québécoise de l’industrie du cannabis (AQIC) est encore toute jeune. Fondée en 2019, elle regroupe plus de 30 membres (dont Fuga) ayant à cœur le développement de ce secteur d’activité. En entrevue, son fondateur et président, Michel Timperio, détaille le mandat de son organisation, les défis qui l’attendent, mais dévoile aussi comment l’esprit collaboratif, propre au Québec, place son industrie dans une classe à part.
Vous êtes arrivé dans le milieu du cannabis alors que vous travailliez au développement des affaires pour Neptune, une entreprise qui se spécialise dans le mieux-être par les produits naturels. L’AQIC regroupe des entreprises qui œuvrent dans le milieu du cannabis médical et récréatif. En quoi tous ces gens, à travers l’association, parlent-ils d’une seule voix?
Nous sommes effectivement un groupe diversifié, représentatif de l’industrie en général. Mais nous partageons plusieurs défis, comme celui de l’acceptabilité sociale. C’est pourquoi nous faisons beaucoup d’éducation auprès du public, par exemple à travers la publication d’un livre (L’ABC du cannabis). Il est important que les gens saisissent les nuances qui existent dans le marché du cannabis, où l’on trouve des produits pour le mieux-être, la santé, mais aussi pour s’amuser – de manière responsable, comme nous le prônons toujours. Pour nous, la maturité de cette industrie passe par un changement de mentalités.
Aussi, nous souhaitons parler d’une seule voix auprès des gouvernements afin de faire progresser les normes.
Nous agissons aussi auprès des membres afin de les aider, de les tenir informés, de répondre à leurs questions qui concernent le volet réglementaire, mais je dirais que ce qui nous caractérise, c’est le fait que nous agissons comme facilitateur. Nous créons un véritable réseau d’échanges entre les membres afin de renforcer nos liens et pour que la toile que compose notre milieu soit solide.
Vous voulez dire que les membres partagent de l’information, des manières de faire, des fournisseurs… Dans un milieu qui est sans doute compétitif, c’est quand même particulier, non?
Le Québec a depuis longtemps embrassé le modèle coopératif. Ce que nous avons à l’AQIC est différent : ce n’est pas une coopérative, mais cet historique – surtout dans le monde agricole – explique probablement que nous ayons plus de facilité, ici, à dépasser l’aspect concurrentiel pour travailler de concert afin de devenir un pôle d’innovation, ce qui va profiter à toute l’industrie du Québec, qui est encore jeune et doit rivaliser avec les gros joueurs qui se pointent.
Ce qui est intéressant, aussi, c’est qu’il n’y a pas que des entreprises directement liées à la production de cannabis qui font partie de l’association.
Effectivement. Il y en a plusieurs, de toutes les tailles. Certaines plus grosses, d’autres plus nichées et en microproduction, comme Fuga (dont le PDG, Philippe Laperrière, est aussi le vice-président de l’AQIC). Ensuite, on trouve des spécialistes de l’équipement, de l’emballage. Mais il y a aussi dans notre regroupement des cabinets d’avocats, des firmes de sécurité, des comptables… Toutes des entreprises qui croient en l’avenir de notre industrie et nous aident à la faire croître.
On a parlé d’éducation et d’acceptabilité plus tôt. C’est LE grand enjeu de l’industrie pour le moment?
Oui, parce qu’il est important que nous puissions harmoniser nos pratiques et notre réglementation à celles des autres provinces et que nous soyons tous alignés sur ce que met de l’avant Santé Canada. Nos règles, au Québec, sont plus restrictives. Mais nous sommes patients, très collaboratifs, et nous sommes convaincus que le temps et l’éducation nous feront progresser vers cet objectif.
Il faut se souvenir qu’autrefois, la Commission des liqueurs a été mal acceptée elle aussi. Les gens en sortaient avec des sacs bruns pour cacher ce qu’ils avaient acheté.
Et maintenant, on fait la promotion de la consommation d’alcool un peu partout…
Comme pour la plupart des industries légales, oui. Il n’est pas non plus question de banaliser toutes les substances. Il faut que le public comprenne bien ce qu’il achète, et qu’il se procure des produits adaptés à ses besoins. On ne se remplit pas un grand verre de gros gin comme on le ferait avec de la bière non plus.
Ça progresse, malgré tout. L’idée [pour le cannabis récréatif], c’est toujours de mettre fin au marché noir et de promouvoir une consommation responsable d’un produit reconnu et réglementé. On y travaille activement, la SQDC fait aussi du très bon travail en ce sens puisqu’elle a rapidement évolué pour offrir des produits de qualité supérieure à un prix compétitif. Et ce partout au Québec, où qu’on se trouve. Au final, c’était une bonne idée de créer une société d’État.
Tout cela pour dire que nous sommes conscients qu’en même temps que l’on rend ce produit accessible, nous devons être proactifs, comme association, en matière de responsabilité sociale. Le souci de promouvoir une consommation responsable, en phase avec notre code d’éthique, est capital pour nous.
Comme vous le disiez, les choses changent quand même rapidement. On voit un nombre croissant de sportifs, d’artistes et de gens d’affaires qui investissent dans ce milieu, quand ils ne lancent pas carrément leur propre entreprise. Ça doit aider un peu, non?
Oui, mais ce que nous espérons, c’est que l’adhésion des gens d’affaires, des artistes et des sportifs changera aussi les mentalités du côté des banques et des leviers de financement gouvernementaux ou des fonds d’investissement.
Vous voulez dire qu’en ce moment, il n’existe aucun moyen pour l’industrie de se financer par ces canaux?
Non. Aucun. Pour le moment, les joueurs de l’industrie, peu importe leur taille, doivent investir leur propre argent ou lever des fonds privés. Ils n’ont accès à aucun prêt bancaire ni à aucune subvention ou prêt garantis par le gouvernement. Ce sont souvent leur maison et leurs épargnes qu’ils mettent sur la table pour se lancer. Ça va changer. Mais disons que c’est aussi un endroit où l’AQIC doit travailler afin de faire progresser l’acceptabilité.