Vous consommez du cannabis médical, mais ignorez comment aborder le sujet avec vos enfants, de peur d’en banaliser l’usage? Chantal Vallerand, directrice générale de Jeunesse sans drogue Canada, propose d’inspirantes pistes afin de mieux orienter votre discours et de savoir comment répondre aux questions qui soulèvent parfois un malaise.
Chez Fuga, si nous sommes convaincus de l’extraordinaire potentiel thérapeutique du cannabis, nous sommes aussi préoccupés par l’usage de drogues récréatives par les adolescents. Nous croyons donc qu’il est indispensable de discuter de ce sujet avec nos enfants afin de mieux les outiller et d’ainsi leur fournir le bagage de connaissances qui leur permettra de prendre leurs propres décisions de manière éclairée.
Mais encore faut-il savoir jongler avec les explications concernant les raisons qui nous amènent à consommer du cannabis médical, les dangers de la consommation chez les jeunes et une responsabilisation réaliste qui ne sombre pas dans l’alarmisme et les sermons hypocrites.
Chantal Vallerand, directrice générale de Jeunesse sans drogue Canada, répond à nos questions afin de nous équiper pour faire face à nos responsabilités.
Madame Vallerand, plutôt que d’avoir une discussion difficile avec nos enfants, est-ce qu’il ne serait pas plus simple de consommer du cannabis médical en cachette pour qu’ils ne le sachent simplement pas?
De façon générale, chez Jeunesse sans drogue, on prône toujours l’honnêteté et la transparence, parce qu’on veut que les enfants puissent reproduire le même modèle et la même attitude envers nous. Nous faisons la promotion de conversations continues à propos de l’usage de substances. Donc, à la base, le prendre en cachette, ce n’est probablement pas la meilleure manière de faire.
Ça ne veut pas non plus dire de s’asseoir devant la télé et de vapoter. Il y a une différence entre dire qu’on en prend et le faire de façon complètement décontractée devant les enfants. De la même manière, une personne diabétique ne se piquera probablement pas à l’insuline à table avant de manger sa soupe.
En plus, il pourrait s’installer une confusion dans l’esprit des jeunes qui assisteraient à ça, puisque le cannabis est aussi une drogue récréative.
C’est pour ça qu’avoir une conversation ouverte est si important. C’est là qu’on pourra aborder avec nos enfants le contexte dans lequel on en consomme, la fréquence... De la même manière qu’on poserait ces questions à nos enfants. Parfois, lorsque les parents découvrent que leurs enfants consomment des drogues, ils abandonnent le discours préventif et croient qu’ils ont failli à leur tâche et qu’il n’y a plus rien à faire. Mais ce n’est pas vrai. La conversation sera peut-être un peu plus inconfortable, mais on propose alors de voir avec nos jeunes dans quel contexte ils consomment, à quelle fréquence, quelle quantité, et pourquoi.
Lorsqu’on aborde cette question avec ouverture et curiosité, on est plus apte à épauler notre enfant dans ses décisions. C’est la même chose quand on inverse les rôles : on explique pourquoi et comment on prend du cannabis et on fait confiance à nos jeunes, parce qu’ils ont la capacité de comprendre ces nuances et dans quel contexte c’est approprié pour un parent de consommer du cannabis médical.
Selon l’âge de l’enfant, la discussion n’est pas non plus la même...
Non, mais il n’y a pas non plus d’âge magique où commencer à en discuter. Du genre : «Bon, eh bien, tu as maintenant 11 ans et il est temps de t’expliquer tout ça...» (Rires.) On peut commencer à aborder la question indirectement dès l’âge de 2 à 4 ans, en exposant l’importance de prendre soin de sa santé et de son alimentation, de faire de l’exercice. Par exemple, on peut expliquer à un enfant que lorsqu’on a une bonne nuit de sommeil, on se sent plus en forme pour travailler et pour jouer avec lui. On aborde le mieux-être de manière plus englobante, puis on peut inclure là-dedans la prise de médicaments. Par exemple en disant : «Quand tu ne te sens pas bien, maman te donne de l’Advil.» Donc on établit que cette prise de médicament se fait dans un contexte précis. Et si on commence comme ça dès un jeune âge, ça n’aura pas l’air de sortir de nulle part lorsqu’on voudra aborder la question du cannabis plus tard, comme à l’entrée au secondaire, par exemple.
Comment peut-on leur expliquer qu’on consomme du cannabis médical sans que ça constitue pour eux une sorte de passeport pour qu’eux se mettent à en consommer?
En abordant la chose à partir de l’idée que tout part d’un état de santé, qu’on a fait appel à un spécialiste de la santé, et que parmi toutes les options disponibles pour traiter ce dont on souffre, c’est celle du cannabis qui a été retenue. Donc, c’est du cannabis médical qui a été prescrit. C’est un médicament. On peut leur montrer la prescription avec notre nom dessus. Ça officialise la chose. Et comme pour un autre médicament, comme cela découle d’un processus médical, on leur explique aussi que si c’est bon pour nous, ça ne veut pas dire que ça l’est pour une autre personne. Des experts ont déterminé que, vu notre état de santé, nous, c’est le cannabis médical qui nous aide.
Pourrait-on aussi faire une comparaison avec des antidouleurs puissants, comme des opioïdes, et dire par exemple : «Tu as dû en prendre après ton opération,parce que c’est ce qui te soulageait, mais tu ne devrais surtout pas en prendre pour le plaisir, parce qu’il y a de nombreux dangers liés à leur consommation»?
Nous avons une campagne sur les opioïdes dans laquelle on dit essentiellement ça. Et que ce n’est pas parce que c’est dans la pharmacie familiale que ça signifie que c’est bon pour tout le monde. On encourage d’ailleurs les parents à entreposer de manière sécuritaire leurs médicaments, y compris le cannabis, afin d’en limiter l’accès. Pas pour faire des cachettes, mais parce que ça représente un danger potentiel. Il faut donc l’expliquer : on ne doit pas prendre un médicament s’il ne nous a pas été prescrit ou sans tenir compte des indications concernant le dosage. De la même manière qu’on ne devrait pas prendre une pilule achetée dans la rue, même si notre ami nous dit qu’il a tripé quand il l’a prise. Tout le monde n’est pas constitué de la même façon et ne réagit pas pareillement aux différentes substances, légales ou non, prescrites ou pas. D’où l’importance du suivi médical, du contexte. Donc, ce n’est pas parce que c’est prescrit pour papa ou maman que c’est bon pour toi, pourrait-on leur dire.
Ensuite, il faut expliquer les risques liés à l’usage de cannabis lorsqu’on est jeune…
Oui, mais pas en se positionnant en expert. Plutôt en parent concerné. Une bonne manière de faire les choses, c’est de leur poser des questions et de les faire réfléchir. Pourquoi une drogue est-elle légale à partir d’un certain âge, mais ne l’est pas avant, par exemple? Ensuite, si on n’a pas soi-même toutes les réponses – ce qui est normal –, on peut aller sur des sites qui contiennent toute l’information pertinente, factuelle, qui nous permet d’avoir un discours efficace basé sur la science. Comme ce qui a trait à la maturité du cerveau, qui n’est pas atteinte avant l’âge de 25 ans, entre autres.
Et au vu de ces faits, on explique que ce sont ces choses-là qui nous inquiètent et nous indiquent que ce n’est pas une bonne chose d’en consommer quand on est jeune.
Est-ce qu’on devrait se préparer, avoir fait ses recherches et se préparer un discours pour aborder le sujet plutôt que d’attendre que le moment se présente?
Totalement. Parce que c’est vraiment intimidant comme conversation. On a peur de se faire poser des questions sur notre propre consommation, sur nos habitudes passées, de ne pas savoir ce qu’on est censé répondre. À Jeunesse sans drogue, on a un simulateur qui permet aux parents de s’exercer avec différents scénarios où le jeune pose certaines questions courantes, auxquelles il est parfois difficile de répondre, et on propose des pistes pour que le parent se sente mieux outillé et soutenu dans cette démarche. Mais l’idée, c’est toujours de le faire en toute ouverture, de le dire si on ne connaît pas la réponse et d’aller chercher ensemble l’information juste. Ça vous donne de la crédibilité, comme parent. Sermonner, ça ne fonctionne pas.
L’idée, c’est de faire partager de l’information, sans jugement, ce qui rendra la conversation plus facile au moment de parler de notre propre consommation.